CHRISTINE BRISSET, ou Le peuple d'ici-bas (subventionné)
En 2018, lors d’une résidence d’écriture, à Angers, j’ai découvert l’existence de Christine Brisset.
Quelques mots de la part des personnes qui m’accompagnaient dans les quartiers de Belle-Beille ont suffi pour qu’elle ne me quitte plus.
Après la guerre 1940-1945, de nombreuses personnes se retrouvaient dans des conditions de vie insalubre dans les ruines des maisons bombardées.
Quelques années plus tard, leur situation n’avait pas changé. Christine Brisset, Antoinette Kipfer de son nom de baptême, en fera son cheval de bataille.
Ce seront 800 squats, puis la mise en œuvre d’une cité Castor. Au total, on parle de 12 000 personnes relogées grâce à sa désobéissance nécessaire.
Une cinquantaine de procès, où elle se défendait, la plupart du temps, seule, ont suivi.
Nous étions à l'époque de l'appel de l'Abbé Pierre. Il est resté dans les mémoires ; elle n'est plus que le nom d'un petit square, à Angers.
Je suis donc retournée à Angers, l’année suivante, pour y déchiffrer les documents qui ont été confiés aux archives de la Ville.
J’ai également rencontré Jean-Michel Arnold, son fils (mort quelques mois plus tard), ainsi que quelques-uns de ses proches.
J’ai tenté de marcher dans ses pas, en m’adressant à elle. J'ai essayé de comprendre pourquoi il fallait que j'écrive à son sujet, pourquoi elle ne descendait plus
de mon épaule sur laquelle elle s'était posée ? J'ai rencontré d'autres femmes qui, comme elle, continuent de désobéir (squats à Angers, hébergeuses de migrants...).
Des femmes ordinaires qui n'ont pu faire autrement. Et, j’ai compris que Christine Brisset ne pourrait mourir complètement tant que la Justice restera injuste.
Jusqu'à la fin des temps, j'en ai bien peur.
Intervenants :
- Jean-Michel Arnold (fils de Christine Brisset)
- Catherine Bourdet (amie de la famille)
- Marie-José Jaubert (réalisatrice du film « On l’appelait Christine »)
- Jean-Luc Marais et Marie Anne Guéry (historiens)
- Milady Renoir (activiste bruxelloise, Voix des sans papiers)
- Frédérique Maîtreheu (coordinatrice d’un mouvement squatters à Angers)
- Christine Van Acker (productrice, réalisatrice, monteuse et autrice)
- Thierry Van Roy (Mixage)
Durée : 52’
1 : les squattages
2. les Castors
3. les procès
Un projet soutenu par le fonds d'aide à la création radio de la Fédération Wallonie-Bruxelles et par Gulliver : une action conjointe de la RTBF, de la RTS,
de la Promotion des Lettres de la Fédération Wallonie-Bruxelles, et de la SCAM-SACD Belgique et France.
Le retour d'une auditrice :
Quant à moi, j'ai écouté la première partie de ton documentaire sur "la passionaria des pauvres" et je dois dire que le sujet, me tenant à cœur et l'action extraordinaire d'une seule femme m'ont émus. Les moments de témoignages du fils sont aussi prenants, ironiques, à la fois doux et incisifs, et j'ai regretté d'apprendre sa mort, dont tu fais mention au générique. J'y ai trouvé aussi un bel écho à ce que nous vivons aujourd'hui avec les inégalités qui se creusent. Ici, à Montreuil, dans le 93, il y a heureusement un grand élan de solidarité pour loger les sans-abris et nourrir les familles en difficultés mais c'est incroyable tous ces gens qui vivent sous le seuil de pauvreté, ça ne devrait pas exister. Et pourtant on a un système d'aide que les autres nous envient. Les paradoxes sont légions depuis le début de la crise sanitaire, avec ce pouvoir caméléon qui dit tout et son contraire et endort notre réflexion. Ton documentaire tombe au bon moment pour réveiller les cœurs et les esprits, j'ai envie de dire. Hâte de découvrir les deux autres parties. J'ai toujours aussi une grande admiration pour ces destins (d'hommes ou de femmes) qui n'ont peur de rien et fonce, par conviction, nécessité, comme si quelqu'un, quelque chose les avait appelé. Christine Brisset est de ceux-là.
Et je viens d'écouter le second volet qui entre davantage dans "les maisons". Cela m'a énormément plu, le thème de la maison étant aussi celui de mon mémoire de cinéma, étudiante. Ici, sur un volet davantage social, c'est passionnant d'entendre comment Christine Brisset s'est débrouillée pour convaincre des personnes hauts placées d'habiter les maisons vides, de faire construire, comment elle a conçu aussi ce projet Castor. J'adore quand tu dis que d'habitude derrière tout grand homme se cache une femme, et que là, c'est le contraire. Ce qui est aussi émouvant (et rageant quelque part) c'est à chaque fois le pont que tu fais avec aujourd'hui ; comme si rien n'avait vraiment bougé, que l’État était sourd et la répression intacte. Les témoignages des "squatteurs", "sans-abris" apportent autant d'informations que d'émotion, ce petit par ex qui dit qu'il fait ses devoirs à la bougie. Tu te dis "ah ouais, aujourd'hui !". J'aime beaucoup aussi l'utilisation de la musique : sans être envahissante, elle apparaît au bon moment pour accompagner, guider une sensation qui affleure par les mots et l'information donnée, la subtilité est au rendez-vous et ça j'adore. Bravo, surtout pour la patience, les recherches, les interlocuteurs rassemblés, tu t'es vraiment fondue là-dedans pour mettre sur le devant de la scène le travail d'une femme que l'on devrait davantage connaître !! La naissance, la mort et tout ce qu'il y a entre est à toi, si seulement on pouvait toujours le garder en tête, cette parole de maman éclairée. Que tout cela, encore une fois, raisonne avec ce que l'on vit dans cette crise sanitaire inédite.
Je m'en irai demain pour le troisième volet, avec grand et curieux plaisir.
Aller jusqu’en correctionnelle parce qu’on veut faire le bien ? – je ne comprends pas, et je ne comprendrai jamais. Ce volet juridique, et psychologique est peut-être le plus sombre, le plus réaliste des trois, le plus dur à entendre. Particulièrement le témoignage de la journaliste de la jungle de Calais, avec cette expression « succursale de décathlon » que j’ai bien aimée. Les procès d’hébergeurs ne devraient pas exister, ni détourner l’aide et le partage en mot de « trafic d’être humain » qui fait froid dans le dos. Je retiens encore une fois les derniers mots du fils Jean-Michel Arnold, dont le rapport à sa mère Christine, plein d’amour et de leçon de vie vaut à lui seul toutes les batailles. Le bonheur par le partage, c’est peut-être tout simple, mais il faudrait se le rappeler à chaque instant.
Christine dans l’ombre de l’Abbé Pierre, dont j’aime par ailleurs l’idée de compassion, moi qui ne suis pas forcément pour la violence des batailles. Mais parfois, lorsque l’on est une femme, à qui l’on met des bâtons dans les roues gratuitement, c’est la seule voie possible. On entend bien l’épuisement de Christine. Tellement humain. Ce serait chouette de faire un film de fiction sur elle, même si ce n’est pas ton endroit, ni celui de ceux qui la connaisse et partage son combat. Mais je ne sais pas, parfois la fiction est là aussi pour ne pas éteindre une personnalité, que le rêve qu’elle porte se perpétue. Bon, c’est mon point de vue car je suis trop (sans doute) friande de fiction.
Quoi qu’il en soit, je pense à un film, que tu as peut-être vu, et qui pourrait te parler suite à ce travail mené : « Les invisibles » de Louis-Julien Petit avec Corinne Masiero, elle aussi militante qui défend becs et ongles les plus vulnérables malgré (et en se servant de) sa notoriété.
Merci encore Christine pour ce voyage, cette parole nécessaire. Au plaisir de te lire de nouveau et d’écouter tes futures productions.
Florence V.