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CHRISTINE VAN ACKER, réalisatrice radio

Christine Van Acker

Ecouter Radio Campus Lille, une émission réalisée à partir de leur captation lors de notre carte blanche, au Festival Longueur d'Ondes, en 2010 :

 

Je suis une enfant et je viens de recevoir une petite radio avec une oreillette. J'écoute les "Maîtres du mystère" pour moi toute seule. Les "Maîtres du mystère", ce sont des suspens policiers enrobés de musiques à la stridence inquiétante. Sur la péniche de mes parents, j'inaugure de cette façon mes premières évasions dans un monde de grands.

Il y a là quelque chose de l'adulte en gestation qui se reconnaît.

La patience pour s'atteindre commence.

Une autre fois, à Paris, je rencontre pour la première fois (et dernière, comme souvent dans ce métier), un auteur de polar qui a toute la collection K7 de ce même feuilleton radiophonique. Il m'en offre une et je la reçois avec toute l'émotion d'une enfant qui ne s'est pas encore tout à fait endormie.

Premières fois dans un cours d'art dramatique. Les tragédies de Racine et de Corneille sont mes tasses de thé parfumées. Ma voix n'atteint pas les sommets, je manque de coffre. Un physique de tragédienne avec une voix enfantine. Quelqu'un me dit un jour d'envoyer une K7 à la RTBF, on cherche "des voix". Maggy Rayet, productrice de Radio Pirate, une émission pour enfants (et parents, bien sûr) me reçoit et m'envoie toutes les fleurs possibles à propos de ma voix si... si radiophonique (!).

Je suis dans le temple de la radio. Tout me semble si grand. Je dois encore monter les marches en y posant les genoux tant elles sont hautes (comme on peut tomber en grandissant !).

Pour Maggy, mes cordes vocales vont se transformer en sorcières, en mauvais garçons, en gentilles petites filles. Voix inconnues qui se révèlent. Ce seront les premières publicités, les enfants enthousiastes à la vue d'un bol de céréales, des dessins animés où je parviendrai même à me glisser dans la peau d'une ... moisissure (si si!).

Ce seront aussi les premières fois où je serai à la place de l'interviewé. Je parlerai de mon enfance batelière, de mon premier livre. Ça n'est pas la place que je préfère. Quel enjeu en si peu de temps. Peur du direct.

Pour mon premier livre, j'étais allée chez des bateliers pensionnés pour qu'ils témoignent de leur métier, de leurs souvenirs. Sans ordinateur encore (c'était dans les années quatre-vingt), je tape leurs propos sur une machine à écrire. Je les découpe ensuite en bandelettes pour les coller à d'autres qui compléteront les leurs. Tout compte fait, ce sont mes premiers montages.

Je revois mes grands-parents, les yeux humides, après la lecture à voix haute de mon manuscrit par mon grand-père. Ma grand-mère, analphabète, voyait sur le papier les mots sortis de sa bouche et retranscrits par mon intermédiaire.

La mode n'était pas encore aux "récits de vie". Je me rendais bien compte de leur force, de leur importance, de leur "action". Mon grand-père, après cette lecture, s'était mis à écrire sa vie de sa belle écriture tarabiscotée. Son récit s'arrête à la moitié, pas eu le temps de vivre jusqu'à la fin.

Je commençais à percevoir la fonction qui m'était dévolue par Dieu sait qui, celle de "courroie de transmission". Rien à voir avec la neutralité d'un propos simplement retransmis : l'apport de mon regard sur ce qui est.

Une rencontre m'amène à Radio Campus et, là, une apprentie journaliste m'apprend le b.a.-ba du montage sur bande. Couper, coller.

Mais comment fait-elle pour entendre l'endroit de la bonne césure?

Radio pirate disparaissant du "paysage radiophonique" belge, je commence alors "Radio qui gratte", une émission pour enfants sur Campus. Quelle ferveur dans ces premières fois. Que de nuits à faire des conduites d'émissions dans ma tête, à inventer de nouveaux sujets. Actes gratuits, non rétribués, liberté intégrale. Captations dans des spectacles pour enfants, dans des écoles, enfants en direct, visites commentées par les gosses. Belle école que ces semaines offertes à quelques auditeurs. Combien ? Le saura t'on jamais ?...

Les premières indélicatesses, premières notions de l'éthique. L'ironie, mal placée, maladroite, peut vexer les gens aux propos détournés. Tentation d'une forme de pouvoir, manipulateur. Apprentie sorcière de ce qu'on appelle alors encore "la matière sonore", je m'y frotte et m'y pique. C'est promis, je ne le ferai plus jamais! Je continuerai plutôt à gommer les défauts de langage pour laisser passer le sens, à enlever les voiles du "j'veux dire", du "en fait", répétés une centaine de fois pendant les interviews. Couper, non pour censurer ou manipuler, mais pour dégager la vraie parole.

L'émission "C'est la vie" était alors une émission de radio quotidienne. Maggy, encore, accueille ma proposition. Pour ce premier reportage professionnel, je passerai une journée sur le bateau de pèche où mon oncle travaille. Hélas, le micro restera dans sa valise tandis que j'expérimenterai mon "premier mal de mer". Ce sera alors, à terre, le "portrait de Wartche", un passionné de la mer, un "personnage" comme on le dit si facilement.

Après quelques années, les portes de la RTBF se ferment. Pour continuer, il faut en ouvrir d'autres. L'asbl Les Grands Lunaires s'illumine alors pour des productions indépendantes. Ce seront des sujets virant de plus en plus sur ce que j'appellerai "de la radio action".

La première fois, un acte neuf à poser quand d'autres l'ont déjà si souvent usé.

Micro passe-partout qui nous permet d'entrer là où un simple coup de sonnette n'aurait pas été compris, peut-être, ou n'aurait tout bonnement pas été osé. Le micro, le casque, boucliers de fortune.

J'admire la confiance qui m'est accordée à chaque fois malgré l'image pas toujours bien propre des médias. Le don de mon écoute se conjugue au don que vous me faites de votre histoire. Nous en sortons, de part et d'autre, régénérés. Nous n'étions passifs ni l'un ni l'autre. Vos propos ont été accueillis, sans réserve. Quels qu'ils soient, ils étaient intéressants. Les plus anodins marchant aux côtés des plus réfléchis, mûris, déjà dits à d'autres. C'était la première fois que nous nous rencontrions. Avec l'avènement de l'Internet, il arrive même que je n'aie pas entendu votre voix avant d'être là, devant vous. Le bouton pause enclenché, vous me direz encore "ça va, c'est ça que vous attendiez" ? Et, toujours, je réponds : "Mais je n'attendais rien..."