LA DERNIERE PIERRE
Christine Van Acker – La dernière pierre.
Illustrations : Stéphanie Buttay. Préface : Chantal Couliou. Collection Pleine Lune. 38 pages sur Bouffant crème. Couverture sur Keay Colour.
Format 14 x 16 cm.
ISBN : 978.2.930.235.89.9. Prix : 9,00 €
En cours de réimpression, en 2021, disponible chez l'autrice : Cette adresse e-mail est protégée contre les robots spammeurs. Vous devez activer le JavaScript pour la visualiser.
(Il y a longtemps, à Sintra, au Portugal, un homme fut emprisonné à vie dans une tour. La seule chose qu'il pouvait y faire c'était marcher en rond. Il a tant tourné que le sol, aujourd'hui, en garde la marque ronde et creuse.)
Christine Van Acker est née avec l'invention de la « priorité de droite » en 1961. Elle a vécu son enfance sur un bateau et, aujourd'hui, elle n'est pas encore certaine d'avoir tout à fait le pied terrien. La dernière fois qu'on l'a vue, elle habitait dans un joli village qui s'appelle Lambermont, en Belgique. Son tempérament nomade nous empêche de vous en dire davantage à ce jour.
Lauréate du Grand Prix SGDL 2009 de la Fiction Radiophonique pour « La dernière pierre ».
Née en 1968 au bord du Léman, Stéphanie Buttay traversa le lac et découvrit les auteurs de la Collection de l’art brut (Lausanne). Elle commença alors à jeter ses fils et ses lignes sur le papier. En 2005, elle a présenté son travail dans le cadre des Visions et Créations Dissidentes du Musée de la Création Franche (Bègles, Gironde), où elle figure désormais en tant que « créatrice concernée ».
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Un extrait :
Je suis autour, je ne suis pas dedans.
Il est dedans, dedans la tour.
Il tourne, il tourne. Il ne se retourne pas.
Droit devant.
Chaque pas est le premier.
Il en fait un, il en fait dix, il en fait cent.
Et un autre qu'il n'a pas encore fait.
Je suis dehors, je ne suis pas lui.
Il tourne depuis cent ans.
Le sommeil, il ne le trouve plus. Le sommeil, c'est derrière lui.
Il ne se retourne pas. Droit. Devant. Il tourne.
C'est de l'air traversé, c'est de l'évasion bon marché.
Quand on marche comme ça, on va forcément quelque part.
Il y va.
Je suis entrée. Non, je ne suis pas lui.
Pour les pierres de sa cellule, des tailleurs ont tapé fort, coups après coups, ils sont venus à bout de la roche brute, de la veine sauvage.
Ils lui ont donné une forme.
Alignées, ajustées, ces dalles sont faites pour durer plus que ne durent les hommes, les fils des hommes, les petits fils des hommes.
Lui, il tourne, il marche, il court, il appuie ses pas, il les glisse, il les frotte.
Et la pierre commence à s'émouvoir. Elle s'use, elle cède, se laisse prendre par cet homme qui oublie de dormir, qui a tant de chemin à accomplir devant lui avant qu'on ne vienne, peut-être, demain, le sortir de là, les pieds devants.
La pierre s'incline sous cette route infinie qui le mène depuis un an, depuis dix ans, depuis cent ans.
Je suis là. L'homme n'y est plus.
Il y a si longtemps de ça.
C'était du temps des histoires de princesses qui dorment cent ans, des princes libres de venir les embrasser et de repartir au loin, droit devant, tout droit, plus loin que le bout de la terre tant leurs coeurs s'emballent quand ils aiment.
Je regarde la pierre creusée, le cercle étroit, parfait, sur le sol de la prison.
J'y place mes pieds. J'avance. Je tourne.
Je ne suis pas là.
Je ne suis pas lui.
Je suis entrée, non, je ne suis pas lui.
Je suis là.
Il y est.
Encore.
Nous y sommes. Nous tournons.
Ensemble.
Un an, dix ans, cent ans.
Un pas, un autre.
Jamais.
Le même.
"Résiste, résiste comme la voûte
Lorsque chacune de ses pierres s'apprête à tomber.
Offre ton front comme une clef de voûte
Au foudres des dieux et crie-leur : frappez !
Et laisse-toi fendre jusqu'aux pieds,
Tant qu'un souffle de vie dans cette jeune poitrine
Fera tenir pierre et mortier."
H.Von Kleist